Le 7 octobre 2022 s’est tenu à Bernières-sur-mer la première rencontre d’un programme de recherche participative sur les enrochements artificiels et la montée des eaux en Normandie. Ce document revient sur les échanges de la soirée et en propose une synthèse.
Selon le GIEC Normand, deux-tiers du littoral normand sont déjà concernés par la montée des eaux liée au changement climatique. Érosion, submersion, salinisation des terres et transformation des pratiques de loisirs ou professionnelles sont déjà à l’œuvre.
Parmi les réponses apportées figurent le dépôt expérimental de différents enrochements "blocs de bétons" (projet MARINEFF). Il s'agit d'assemblages de grande dimension, destinés à réduire l’énergie des vagues et de la houle, à diminuer l’érosion et pouvant servir de support à une biodiversité marine. Alors, comment les populations appréhendent-elles la montée des eaux liée au changement climatique et les solutions développées pour y faire face ?
Programmée à l'occasion de la Fête de la Science, cette rencontre est la première d’une série d’ateliers qui souhaitent intégrer les citoyens dans les prémices d’un programme de recherche baptisé “LittoBlocs”. Les débats, discussions et questions soulevés par les participant·e·s alimenteront un travail de cartographie des controverses et des enjeux liés aux enrochements artificiels expérimentaux. Ils permettront ainsi de poser une ou des problématiques de recherche, bases d’un projet recherche participative qui devrait voir le jour fin 2023.
DES EXPERT·E·S, UN PUBLIC
La soirée, animée par Le Dôme a été nourrie par cinq intervenant·e·s qui ont accepté l’exercice de répondre aux questions du public :
Maxime Cordellier, Docteur en sociologie à l'université de Caen Normandie et chercheur associé au Centre de recherche “Risques et vulnérabilités” (CERREV), notamment sur les représentations collectives du changement climatique et la perception des risques associés. Il a débuté ses travaux sur les enrochements par le biais d’un programme de recherche transdisciplinaire, CHERLOC, sur l’expérimentation des blocs de digue émergés et plus particulièrement sur leur acceptabilité sociale. Cependant, la faible accessibilité des ouvrages et l’aspect tardif de l’enquête à la population dans la mise en œuvre du programme a fait émerger ce projet “LittoBlocs” dont il est pilote.
Pascal Claquin, enseignant-chercheur au sein du laboratoire de Biologie des organismes et des écosystèmes aquatiques (BOREA). Il participe au projet MARINEF qui expérimente des blocs bétons éco-conçu de manière à proposer des habitats permettant à la biodiversité marine de s’y développer.
Mohamed Boutouil, Directeur de la recherche à Builders - École d’ingénieur·e·s, qui a également participé au projet MARINEF.
Virginie Serna, conservatrice générale du patrimoine, chargée de mission de l'Inventaire général du patrimoine culturel du ministère de la Culture. Elle assure la coordination éditoriale et scientifique du “Vocabulaire du littoral” et se mobilise sur l'ensemble des ateliers et rencontres pour assurer la présentation et la collecte des données et la sémantique de ces nouveaux objets entrant dans le paysage du littoral.
Frédéric Gresselin, chargé de mission "développement de la connaissance sur les milieux" de la DREAL Normandie et coordonnateur du programme de recherche “Rivages normands 2100” qui cherche à analyser l’impact du changement climatique sur le littoral
Le public était quant à lui composé d’habitant·e·s du littoral, principalement de la ville de Bernières-sur-mer qui accueillait la rencontre, mais aussi de quelques étudiant.e.s, de professionnel·le·s de l’immobilier et d’élu·e·s de communes proches.
FACE À LA MONTÉE DES EAUX...
ET AUX BLOCS BÉTON
Après une courte présentation intrigante de vidéos du programme MARINEF, programme expérimental d’enrochement artificiel, ces derniers ont posé un ensemble de questions auxquelles les intervenants ont pu répondre en tout ou partie, proposant une cartographie de questions et controverse sur le sujet.
QUELLES SONT LES CONSÉQUENCES DE LA MONTÉE DES EAUX ?
Érosion, submersion, salinisation des eaux souterraines, inondation par remontée des cours d’eau et des nappes phréatiques, … Ce sont autant de risques conséquents à la montée des eaux. Frédéric Gresselin indique que l’’évaluation de ces risques est modélisée avec une part d’incertitude, notamment sur les délais du changement à venir. Les activités polluantes continuant, le niveau marin qui augmente depuis les années 1900 devrait atteindre un à deux mètres de plus d'ici 2100.
Ces risques peuvent faire reculer le trait de côte et également mettre en danger les habitant·e·s du littoral mais aussi de l’intérieur des terres, notamment dans les zones où la nappe phréatique est proche de la surface. Bien que l’impact économique soit encore à évaluer précisément (notamment ceux liés aux débordements de nappes), il est certain que les différentes activités des territoires concernés devront s’adapter.
Pourtant les élu·e·s soulignent que la littoralisation, c’est-à-dire l’augmentation du nombre d’habitant·e·s et des activités sur les communes littorales se poursuit, posant un problème économique et social. Entre les terres agricoles à préserver et les risques d’inondation à éviter, l’étalement urbain n’est en effet plus possible. Au vu des risques d’inondation à long terme, il faut même envisager la relocalisation de la population actuelle.
Entre 2019 et 2021, le projet “Notre littoral pour demain” avait donc associé acteurs publics et privés (élus, services de l’Etat, collectivités, associations, entreprises, habitants…) pour réfléchir à la question “comment voyez-vous votre littoral dans 20, 50 et 100 ans” et trouver des solutions pérennes pour la gestion du littoral.
POURQUOI LE BÉTON COMME MATÉRIAU ?
Le béton est LE matériau de base qui sert à fabriquer les infrastructures marines. D’autres matériaux existent (la roche) ou sont en test (matériau à base de débris coquilliers) et peuvent servir pour certains usages (enrochements par exemple). Quid de la pollution lors de la fabrication ou de la dégradation du béton ?
LE BLOC BÉTON, UN PATRIMOINE PAYSAGER ?
Virginie Serna explique que l’approche esthétique du littoral est assez récente. Ce n’est que depuis l’époque de la Renaissance que sa fonctionnalité pure laisse peu à peu une place à l’approche paysagère, principalement incarnée par l’art (peinture, photographie…). Cependant, du chemin reste à parcourir pour intégrer dans cette approche les infrastructures modernes (éoliennes, ouvrages de lutte contre la mer…) dont l’approche esthétique est oubliée.
LE BLOC BÉTON, SUPPORT BIOLOGIQUE ?
Des ports artificiels du débarquement aux techniques ancestrales japonaises, la création de récifs artificiels, supports d’une vie marine diversifiée n’est plus à démontrer. Cependant, les porteurs du projet MARINEF expliquent que le processus de colonisation de la vie marine à partir d’un substrat vierge est, quant à elle, moins connue. Des blocs béton conçus dans l’optique de favoriser cette colonisation ont donc été expérimentés dans différents écosystèmes (partiellement ou totalement immergés) et dans différentes zones du littoral normand (Bernières-sur-mer et Cherbourg-en-Cotentin).
LE BLOC BÉTON, UN MOYEN DE LUTTE CONTRE LA MONTÉE DES EAUX ?
Pascal Claquin et Mohamed Boutouil informent que le bloc béton est à la base des infrastructures de lutte contre la mer : digues, brise vagues, pieds d’éolienne, jetées, ... Relativement coûteux, il s’agit surtout un outil de lutte contre l’érosion qui ne pourra répondre entièrement à cette problématique.
La vision d’un trait de côte figé doit évoluer puisque la montée des eaux va impliquer des changements et dégâts importants, notamment en souterrain. Un changement de la perception des espaces soumis à la montée des eaux est donc nécessaire pour les laisser évoluer librement, notamment repenser le lien entre nature et technique.
POURQUOI LA MONTÉE EST-ELLE PROBLÉMATIQUE ? QUE VEUT-ON PROTÉGER ?
“Ce que je ne veux pas voir disparaître, c’est ma maison” indique un participant. Alors pour définir ce qui est “utile”, il faut définir les besoins et décider des usages collectivement. Air, eau, nourriture, énergie, sécurité, biodiversité, patrimoine culturel, que veut-on préserver ?
Certains usages ne peuvent se faire qu’au détriment d’un autre. Il faut donc prioriser les usages et investissements au sein des territoires. On peut citer comme exemple l’utilisation des digues et portes à flots qui évitent à l’eau salée d’envahir les terres mais empêchent par la même occasion aux poissons d’atteindre leurs zones de reproduction.
Associer l’ensemble des acteurs aux expérimentations est alors essentiel pour que chacun puisse s’accorder sur leur intérêt.
Dans la salle, les participants se demandent comment associer les entreprises à ces projets. A titre d’exemple, les 64 massifs bétons prévus par ERDF dans le cadre de la construction du parc d’éoliennes en mer de Courseulles-sur-Mer ne font pas partie de l’expérimentation. Différentes possibilités sont abordées : par la contrainte, la participation aux expérimentations, l’accumulation de preuves sur la plus-value de nouveaux dispositifs.
Cette rencontre "Le vrai, le faux, le flou" est organisée dans le cadre du programme de recherche participative en sociologie “LittoBlocs” coordonné par le Centre de recherche “Risques et vulnérabilités” (CERREV) en partenariat avec le Centre de recherche en environnement côtire (CREC) et la Direction des patrimoines et de l'architecture du ministère de la Culture. Il est développé en association avec Le Dôme et l’université de Caen Normandie dans le cadre du label “Science avec et pour la société” décerné par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. Ce programme bénéficie du soutien de la Fondation de France.